Japon: interdits de mariage, des couples homosexuels se rebellent
Chizuka Oe et Yoko Ogawa vivent ensemble depuis 25 ans. Mais en tentant de faire officialiser leur union par un acte de mariage dans une mairie d’arrondissement de Tokyo, elles savaient d’avance qu’elles essuieraient une fin de non-recevoir. « On nous a signifié que notre union ne pouvait être reconnue parce que nous étions deux femmes », explique Mme Ogawa, à la sortie de l’hôtel de ville du quartier de Nakano, dans l’ouest de Tokyo.
Cette absence de reconnaissance pèse sur la vie quotidienne des deux femmes. Aux funérailles de la mère de Mme Ogawa, des proches ont regardé sa compagne d’un mauvais oeil. « Ils ne savaient rien d’elle et m’ont demandé qui elle était ? J’étais fatiguée et triste de devoir expliquer que nous étions un couple de lesbiennes, tout comme un couple hétérosexuel ordinaire ». Pour elle, c’est certain, « s’il existait un système juridique de mariage entre personnes de même sexe, cela aurait été plus facile ».
Le couple envisage désormais un recours en justice. A l’instar d’une douzaine de couples homosexuels, Mmes Ogawa et Oe devaient engager le jour de la Saint-Valentin (14 février) des poursuites pour discrimination, dans le but de forcer le gouvernement à reconnaître le mariage homosexuel. « Pourquoi n’avons-nous même pas le choix de nous marier ou non ? », questionne Mme Ogawa. Les plaignants, cinq couples de femmes et huit couples d’hommes, espèrent être indemnisés pour s’être vu refuser les mêmes droits que les couples hétérosexuels. Ils entendent aussi remettre en cause le sens donné au passage de la Constitution japonaise qui précise que « le mariage ne peut être conclu que sur la base de l’accord de personnes des deux sexes ».
Pour le gouvernement actuel (comme pour les précédents depuis l’entrée en vigueur de la Loi fondamentale en 1947), cela signifie que le mariage entre personnes du même sexe n’est « pas prévu », ni dans la Constitution, ni dans le code civil. Mais pour les avocats des plaignants et d’autres experts juridiques, rien dans l’article 24 de la Constitution n’interdit le mariage entre deux personnes de même sexe. Selon eux, la formulation de 1947 vise uniquement à garantir que chacun des époux est consentant, afin de prévenir les mariages forcés, sans le consentement de la femme.
Ces défenseurs du mariage pour tous considèrent au contraire, par la voix d’Akiyoshi Miwa, avocat des plaignants, que c’est la non-adoption d’une loi autorisant le mariage entre personnes de même sexe qui est anticonstitutionnel, car elle viole le principe selon lequel « tous les citoyens sont égaux devant la loi ».
Le Japon et l’Italie sont les deux seuls pays du G7 à ne pas reconnaître le mariage homosexuel, Rome autorisant toutefois depuis 2016 l’union civile entre personnes de même sexe. Historiquement pourtant, la société nippone était plutôt tolérante vis-à-vis de l’homosexualité, comme en attestent des documents évoquant des samouraïs entretenant des relations avec des hommes. L’homosexualité est aussi un des thèmes évoqués dans les estampes (ukiyoe). Mais, après la restauration de l’empereur Meiji, en 1868, à mesure que le Japon s’ouvrait à la culture étrangère, s’industrialisait et se modernisait, se diffusaient aussi les préjugés occidentaux contre l’homosexualité. Et ils ont la vie dure, principalement dans la frange nationaliste.
L’année dernière, une parlementaire du Parti Libéral-démocrate (PLD) de Shinzo Abe a choqué les minorités sexuelles LGBT (gays, lesbiennes, bisexuels et transgenres) en les qualifiant d’individus « improductifs » car « ne pouvant pas avoir d’enfants ». Ces commentaires et d’autres ont outré au-delà des milieux homosexuels, mais le débat reste encore au milieu du gué, bien que des autorités locales et entreprises se montrent plus clémentes ces dernières années. Depuis 2015, l’arrondissement de Shibuya à Tokyo d’abord, et d’autres ensuite, délivrent des certificats symboliques aux couples de même sexe, afin de leur faciliter certaines démarches administratives. Ce document a par exemple permis a Mme Ogawa de signer, au même titre qu’un membre de la famille, des formulaires lorsque sa compagne Chizuka Oe a été hospitalisée l’année dernière. Mais la portée de ces certificats reste très limitée.
Outre que seules quelques localités les proposent, ils « ne confèrent pas les mêmes droits et avantages légaux qu’un acte de mariage (héritage, autorité parentale, etc.) », souligne Takako Uesugi, un autre avocat des plaignants. Un étranger en couple homosexuel avec un Japonais ne peut pas demander de visa de conjoint contrairement aux non-Japonais mariés avec une personne de nationalité nippone. « Ce que nous voulons vraiment, c’est une décision de justice selon laquelle la non-reconnaissance du mariage homosexuel est inconstitutionnelle », insiste son collègue Miwa.
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