Pourquoi l’unique magazine gay français disparaît ?

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Comme nous vous l’annoncions hier, faute de réel repreneur, le tribunal de commerce de Paris a jugé bon de mettre en liquidation Têtu, le seul magazine homosexuel français, après 20 ans d’existence. Mais quelles sont les vraies raisons de cette « descente aux enfers » de notre confrère ? En réinjectant des sommes colossales aux pires moments, Pierre Bergé ne s’est-il pas fait plaisir sans penser davantage au modèle économique du journal ?

L’ultime épisode est dramatique : tout le monde est licencié. Cela fait une dizaine de personnes, dont 5 journalistes et Têtu disparaît. Pas totalement la marque puisqu’elle sera mise en vente aux enchères prochainement. « On espère que ça tombera dans des mains bienveillantes », souhaite la rédaction.

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Problèmes structurels

Revenons quelques instants sur l’aspect économique du journal. Créé en juillet 1995 par des militants de la lutte anti-sida, Têtu a toujours été déficitaire. Le magazine, vendu cinq euros, a vu sa diffusion baisser de 12,5% depuis 2010, à 28.275 exemplaires par mois. Le titre avait déjà été placé en redressement judiciaire le 1er juin par le tribunal de commerce de Paris.

« Une conjoncture économique difficile, des problèmes structurels de distribution, des agences de publicité pusillanimes… », résume le propriétaire du titre, Jean-Jacques Augier, sur le site du mensuel pour expliquer cette liquidation judiciaire. Dont acte. Sauf que rien n’a été proposé pour palier ses problèmes d’organisation de distribution ou d’ordre commerciale …

A défaut de trouver des solutions, de l’argent a été réinjecté dans Têtu. Il a été financé pendant 18 ans par son propriétaire et mécène, Pierre Bergé, qui a épongé des pertes de plusieurs dizaines de millions d’euros, avant de le revendre pour un euro symbolique à Jean-Jacques Augier, un proche de François Hollande.

Le titre a encore perdu deux millions d’euros en 2013 et 1,1 million en 2014, pour un chiffre d’affaires de 2,8 millions. Pour 2015, la perte est d’environ 500.000 euros.

pre_386Le 1er numéro de Têtu en 1995

La vie des gays a changé

Mais le modèle économique était-il les seules raisons de cette fin tragique ? Pas certain. Les gays en France ont changé leur mode de vie. On ne sort plus automatiquement dans un restaurant du Marais, on n’achète plus des fringues au BHV Homme, … Bref, les homosexuels se démarquent de plus en plus jusqu’à leurs lectures. Par ailleurs, Têtu avait tenté de prendre le relais de Gai pied (disparu en 1992, soit 3 ans avant le lancement de Têtu) mais en vain. Le journal n’a jamais vraiment trouvé sa place.

Pour Didier Lestrade, essayiste et cofondateur d’Act-Up et de Têtu, le magazine « est devenu mou du cul ». « L’histoire de la loi sur le mariage pour tous, qui a duré plus de dix-huit mois, aurait dû porter Têtu. Mais ils ont mis trop de temps à prendre la mesure de la violence de la réaction des anti, regroupés dans la Manif pour tous. Ils ne se sont pas fait l’écho non plus du mécontentement lié à l’abandon par le gouvernement de gauche de la PMA pour les lesbiennes et de la GPA », a-t-il jugé dans Libération. Loin des combats communautaires de Gai Pied.

La presse Lgbt en ligne

Même si le print (papier) peine, les titres en ligne s’en sortent plutôt bien même si certains comme Yagg.com connaîssent aussi des difficultés financières, faute d’un nombre suffisant d’abonnés.

La fin d’un média est toujours triste. Nous en sommes totalement peinés entre autres pour son équipe. Têtu aurait pu s’en sortir probablement s’il avait été mis entre les mains de professionnels de la presse et non du cercle gay parisien. Certains se sont fait plaisirs au détriment de la vie d’un journal et de ses salariés.

4682852_3_62db_la-couverture-du-dernier-numero-de-tetu_422ac51a9e049d59c258428b3Le numéro de l’été avec Mika en couverture sera le tout dernier Têtu