On peut changer de sexe dans la Serbie conservatrice

un-anesthesiste-italien-anonyme-est-assis-sur-un-lit-d-hopital-apres-son-operation-de-changement-de-sexe-dans-une-clinique-specialisee-a-belgrade-le-11-octobre-2016

La Gay Pride suscitait il y a peu des violences en Serbie, où la moitié de la population considère l’homosexualité comme une maladie. Et pourtant ce pays accueille aussi des étrangers qui viennent y changer de sexe, en particulier des femmes qui veulent devenir hommes.

Anesthésiste en Italie, A.T., 38 ans, (en photo de dos), qui ne veut pas donner son nom, a étudié les coûts d’une opération et la compétence du personnel médical. La conclusion s’est imposée: dotée d’une médecine de haut niveau, moins chère que dans d’autres pays, la Serbie était l’endroit idoine pour devenir un homme, une opération plus rare et plus compliquée que le processus inverse.

La chirurgie serbe a une longue tradition dans ce secteur: à la fin des années 1980, Savo Perovic a été un pionnier des opérations de changement de sexe et son ancien disciple et élève Miroslav Djordjevic a pris le relais.

A.T. a commencé sa transformation il y a 14 ans et, renseignements pris en Belgique, en Grande-Bretagne et en Allemagne, a arrêté son choix sur Belgrade et son Centre for Genital Reconstructive Surgery, dirigé par le professeur Djordjevic.

« J’ai mené de nombreuses recherches et contacté beaucoup de cliniques. Et je me suis rendu compte que presque tous avaient été étudiants du Pr Djordjevic », dit A.T. En Italie, l’opération aurait pu être gratuite selon lui, mais les chirurgiens locaux y manqueraient d’expérience à ses yeux.

anesthesie-comprendre-ce-qui-se-passe-sur-la-table-d-operation

En Serbie, il a payé 15 000 euros quand cela en coûte 60 000 en Grande-Bretagne.

Friand d’attention médiatique, Miroslav Djordjevic affirme que ce n’est pas le prix qui attire prioritairement les patients occidentaux – même s’il reconnaît pratiquer des tarifs trois à quatre fois inférieurs à ceux de l’Europe occidentale et des Etats-Unis – mais bien la qualité des soins.

Seule une vingtaine de centres dans le monde sont capables de pratiquer une opération de transformation femme-homme, selon lui, et sa clinique ouverte en 2006 en fait partie. En outre, le chirurgien de 51 ans procède en une seule opération: « Nous enlevons en une seule fois la poitrine, les organes sexuels féminins » et « nous finissons par la chirurgie pour créer un phallus ».

Une centaine d’étrangers chaque année

Urologue installé à Londres, David Ralph est aussi un spécialiste de la construction pénienne. Il estime que les spécialistes serbes sont de « bons chirurgiens », qui « font de la bonne phalloplastie ». Lui préfère toutefois procéder par une série de petites opérations plutôt qu’en une fois, pour éviter les complications.

A ses yeux, ce qui explique la différence de prix en Serbie, ce n’est pas le niveau sanitaire, mais les coûts de fonctionnement du système hospitalier serbe.

Chaque année, une centaine d’étrangers se font ainsi opérer en Serbie pour changer de sexe. Ils viennent du Japon, du Brésil, d’Afrique du Sud, d’Australie, des Etats-Unis… Une vingtaine est originaire d’ex-Yougoslavie. Une grande majorité (85%) sont des femmes qui veulent devenir hommes.

Le geste chirurgical pratiqué par le Pr Djordjevic est l’aboutissement d’un long processus, avec des évaluations psychiatriques, l’administration de traitements hormonaux et un examen minutieux des documents que doivent fournir les patients étrangers. Un délai qui permet de limiter le risque de regrets.

Immense violence et harcèlement

Hors des murs de cette clinique, en Serbie, pays conservateur et patriarcal de sept millions d’habitants, les transsexuels se heurtent encore à une forte discrimination. « Depuis le plus jeune âge, les transsexuels ont à subir une immense violence, du harcèlement, du rejet, qui ont des conséquences en terme de scolarisation, d’éducation, de travail… », dit Milan Djuric, alias Agatha, de l’association Gayten-LGBT.

Même si depuis 2012 les deux-tiers du prix d’une opération sont remboursés, cette décision du gouvernement « ne résout pas toute une série d’autres motifs d’inquiétude », dit-il.

Jusqu’à présent, la Serbie ne recense nulle part de manière centralisée les crimes à caractère homophobe ni ceux visant les transsexuels et les transgenre. Et elle ne dispose d’aucune procédure légale de reconnaissance des personnes ayant changé de sexe.

Selon une étude onusienne de 2013 sur la discrimination, 49% des Serbes pensent que l’homosexualité est une maladie qu’il faut soigner, et selon Milan Djuric, le rejet pour les transsexuels est encore plus fort.

Un couple a été passé à tabac l’an dernier dans le sud de la Serbie parce que l’un des deux membres était transgenre. Les associations LGBT demandent l’adoption d’une loi qui faciliterait la vie aux transsexuels, notamment pour les changements de papiers d’identité et d’état civil. Mais selon Milan Djuric, elles se heurtent à l’hostilité d’une partie de la classe politique.